« Généralement toutes les professions détruisent l'harmonie des idées » écrivait Montesquieu dans son Essai sur le goût. Cela semble particulièrement vrai si l’on s’intéresse à la psychiatrie et à son histoire : de l’apogée du mouvement asilaire à la sectorisation, du « traitement moral », de Pinel à la découverte des neuroleptiques, de la psychanalyse aux thérapies cognitives et comportementales. Le propre de la folie, dans ce qu’elle a de plus humain, est peut-être de ne jamais se laisse saisir, elle échappe, met en tension toute tentative de théorisation à son égard. Et le sujet, par-delà son trouble, résiste à l’objectivation d’un discours univoque. En miroir de cette complexité, la science autour du sujet souffrant semble se disloquer au cours du XXème siècle, perdre son harmonie, devient multiple puis se déchire en milles conflits de chapelles et laisse sonner la dysharmonie des sons de cloches. Notre discipline semble être vouée à l’éclatement, aux querelles intestines, aux revirements idéologiques les plus brutaux. Dans ce tumulte, comment entendre le sujet, l’écrire, le raconter ? La psychiatrie tend aujourd’hui à proposer une approche dite « a-théorique », prenant le parti d’un langage qui se voudrait consensuel. Ainsi parle-t-on de ce qui est observable et évaluable pour et par tous. C’est l’idée conductrice de la rédaction du DSM, aujourd’hui dans sa 5ème édition. Grace à cet outil, la psychiatrie a découvert un langage commun, un « terrain d’entente » peut-être au risque de « faire silence » sur les confrontations qui l’ont précédé. En lissant les conflits, l’a-théorie ne prendelle pas le risque d’occulter les multiples lectures de la réalité humaine qui ont fait la richesse des confrontations à l’origine de notre spécialité. Dès lors il est clair que le jeune psychiatre qui débute son cursus se trouve confronté à des choix parfois difficiles et pourra éprouver quelques difficultés à faire sienne cette histoire mouvementée : quelle approche psychothérapeutique privilégiée ? Comment concilier un goût pour les sciences humaines et la nécessité d’une rigueur propre à l’approche statistique ? Comment parvenir à concilier les apports nécessaires de l’antipsychiatrie tout en continuant à croire aux bienfaits des institutions de soin ? Quel regard porter sur nos patients, partagés entre les impératifs de l’évaluation sémiologique et les « imprévus » salutaires de l’intersubjectivité ? Le terme de « dysharmonie », d’origine musicale, nous a semblé pouvoir traduire ce caractère déroutant, parfois inquiétant de notre discipline… Cependant, c’est avec optimisme que nous abordons la problématisation et l’organisation du prochain congrès des internes en psychiatrie, et pas seulement parce qu’il aura lieu dans « la ville rose » ! |
Il nous est en effet assez rapidement apparu que ce qui faisait la difficulté de l’abord de la psychiatrie pour un jeune interne était en même temps ce qui en constituait toute la richesse. Comme l’écrivait Alphonse Allais : « Ce n’est pas tout à fait exact que la musique adoucit les moeurs. Je crois même que l’harmonie, un peu en excès, amène l’homme le mieux constitué à un état d’hébétude et de gâtisme tout à fait folâtre. » Il existe en effet des « Puissances du désordre » pour reprendre le titre d’un tableau du peintre chilien Roberto Matta, une dynamique du conflit et de l’incertitude, une dialectique potentiellement créatrice de cet antagonisme entre harmonie et dysharmonie. Le CNIPSY 2015 propose d’explorer la question des savoirs, de leur dysharmonie et de leur possible appropriation par les psychiatres en formation. Un difficile parcours que nous souhaitons collectif. C’est pourquoi cette rencontre est envisagée comme un atelier, une mise au travail collective et participative de laquelle, nous l’espérons, émergera une idée de la psychiatrie de demain. Et si au bout du compte, cela vous permet non pas d’y voir un peu plus clair, mais de développer ou d’assumer une forme de goût pour le rebelle et l’incertain, pour le pluralisme et le contradictoire, nous aurons le sentiment d’avoir partagé notre réflexion. |
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Membres de l’association CNIPsy Toulouse 2015 Membres d’honneur : Collège scientifique d’internes en psychiatrie : |
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